Titre : | "Le fond de l'être humain, c'est la relation." (2010) |
Auteurs : | Christophe Chaland, Auteur |
Type de document : | Article : texte imprimé |
Dans : | Points de repère (N° 235, 01/03/2010) |
Article en page(s) : | pp. 8-10 |
Langues: | Français |
Résumé : |
Depuis ce jour de 1964 où vous avez décidé d'habiter avec deux personnes handicapées mentales, vous avez côtoyé beaucoup de souffrances. Comment avez-vous traversé celà ?
Jean Vanier : les gens qu'on accueille ici sont tous des gens avec des corps souffrants, je dis bien des corps. Quelque pat, leurs corps a été blessé. Ils parlent mal, marchent mal, ils ont des difficultés. Et surtout, avec des difficultés corporelles et psychiques, presque tous ont vécu le rejet.Et le rejet amène la colère, la dépression. Beaucoup viennent ici avec le sentiment d'une malédiction. Après un peu de temps, ils découvrent la vie, ils sont heureux. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés. Peut-on dire que ce passage de la malédiction à la bénédiction, c'est la résurrection commencée ? J.V. La résurrection est commencée quand ce qui était le plus horrible devient une source de grâce. Parce que c'est finalement ça, le mystère pascal. Ce sont ceux qui on été les plus rejetés qui nous font entrer dans une rencontre avec Dieu. Ce qui est particulier, ici, c'est que la soif, le désir le plus profond de ceux qui sont accueillis, ce n'est pas de gagner de l'argent, d'avoir le pouvoir, ce n'est pas la réussite sociale. Leur grand cri, c'est pour la relation : "Est-ce que tu m'aimes, est-ce que tu m'acceptes ?" N'est-ce pas la question de tout le monde ? J.V. Oui, c'est juste, mais cette question est couverte. Notre monde est surtout vers la culture de la réussite, qui amène la culture de l'autonomie : réussir tout seul. On a l'impression dans ce monde, de ne pas exister si l'on ne réussit pas. Mais le fond de l'être humain, c'est la relation. La résurrection, cela concerne donc la relation ? J.V. La résurrection est finalement une rencontre avec Jésus ressuscité. La résurrection de Jésus est quelque chose de très pauvre. Il ne se manifeste pas au milieu du Temple. Qu'est-ce qu'il fait ? Il rencontre une femme, Marie de Magdala, quelques hommes : la transmission de la foi se fait à travers des rencontres personnelles. Parce que je peux dire : "J'ai rencontré Jésus et il m'a changé. J'avais un coeur de pierre, j'avais peur de la relation et il m'a ouvert le coeur." La transmission de la foi, c'est de moi à toi, de soi à un autre... Une transmission à travers l'amitié et la communion, parce que Dieu est le Dieu de la communion, le Dieu de la Trinité : le Père et le Fils s'aiment, ils nous font entrer dans une relation trinitaire à travers la relation avec Jésus. Le sixième chapitre de l'évangile selon saint Jean me touche beaucoup. Jésus fait d'abord de grande choses, il multiplie les pains. Tout le monde veut faire de lui un roi. Et puis, il dit : "celui qui mange mon corps et boit mon sang demeure en moi et moi en lui." Jésus révèle qu'il est là non pas pour faire des grande choses, mais pour demeurer dans des personnes pour qu'elles entrent en relation.C'est le monde de la relation. C'est e que nous vivons ici, à l'Arche. Il ne s'agit pas, d'abord, d'être généreux pour les personnes ayant un handicap, de faire des choses pour elles ; il s'agit d'entrer en relation avec elles. Cela veut dire manger à table avec elles, leur donner le bain, célébrer la vie, danser avec elles. La pédagogie profonde de l'Arche, c'est juste de dire aux gens : "Je suis heureux de vivre avec toi !" Alors, on découvre que devenir ami de quelqu'un qui a été rejeté nous transforme. Parce que, normalement, dans la société, on reste entre copains, on a une amitié - qu'Aristote appelait "utile" - avec les gens semblables. Mais très souvent, cette amitié fait qu'on se ferme sur le groupe. Or, quand j'entre en relation avec quelqu'un de plus pauvre, je découvre que je donne vie et que d'autre, qui m'appelle, me donne vie en m'appelant. Cette grande attention à l'humain vécue à l'Arche a-t-elle une influence sur la façon dont vous comprenez votre foi ? J.V. Je pense que quelque chose de très important est en train de se passer. Nous avons eu la grâce de réfléchir avec un théologien, Christian Salenson, qui nous a beaucoup aidés à découvrir les fondements de l'Arche : quelqu'un vient, il vit ici avec une expérience profonde avec les personnes rejetées. Il croyait qu'elles n'avaient aucune valeur et, soudainement, il découvre que cette relation est transformante. En allant vers un pauvre, vous donnez vie, et parce que vous donnez vie, la vie monte en vous, grâce à l'autre. Il y a la découverte de ce que j'appelle la fécondité. L'important, ça n'est pas de trouver des solutions à tous les problèmes. C'est de créer des liens. Et de découvrir que ce lien me change et m'ouvre. |
Note de contenu : | Fondateur des communautés de l'Arche, Jean Vannier vit avec des personnes ayant un handicap mental dans un esprit de fraternité. Voici les extraits d'une conversation menée avec Panorama sur le sens spirituel de cette communautaire. |