Titre : | "Ma mort ? Ce sera le plus beau jour de ma vie." (2010) |
Auteurs : | François Le Roux, Auteur |
Type de document : | Article : texte imprimé |
Dans : | Points de repère (N° 234, 01/01/2010) |
Article en page(s) : | pp. 810 |
Langues: | Français |
Résumé : |
Vous évoquez souvent la mort, cela vous préoccupe ?
Je dirai plutôt : cela m'occupe ! J'ai 97 ans. Ca tient encore, mais jusqu'à quand ? La mort me fait chanter dans mon coeur. Je la vois comme un enfant qui tome dans les bras de son père pour l'éternité. Et j'y crois ferme, bon...je dis cela maintenant mais, quand je serai agonisante, je ne sais pas ce que je dirai. Souvent je me rends au cimetière de Callian. Je visite les tombes de mes soeurs. J'y vois ma place préparée, et me voici aussi ramenée à l'égalité essentielle entre humains. Riches ou pauvres, nous sommes égaux devant la mort. Pourquoi vous êtes-vous retirée de la vie publique ? Il y a encore peu de temps, j'étais dévorée par l'action. En pleine forme. Bien sur, je songeais à la mort. Mais dans l'action, je n'avais pas trop le temps de me mettre devant cet ultime passage. Tout a changé, alors que j'tais en pleine activité entre Bruxelles, Paris et Genève. Avant une conférence, je me suis écroulée. Je suis tombée dans un léger coma qui m'a beaucoup affaiblie. J'ai compris que ma vie ne serait plus comme avant. Aujourd'hui, je me déplace difficilement, avec tout ce que cela comporte de perte d'autonomie, de soins que l'on dot me donner. Les sirènes du monde médiatique, la griserie de l'extériorité n'ont plus le même pouvoir attractif. Cette épreuve m'a conduite à me retirer, à accepter cette entrée brusque dans la grande vieillesse, et à me préparer à mourir au milieu des soeurs religieuses. Comment vivez-vous cette étape ? J'apprends à accepter cette dépendance. Ce n'est pas facile pour moi qui eu l'habitude de foncer, de mener ma vie avec l'énergie que l'on me connaît. Je sens que la mort est proche. Je ressens la vanité de cette griserie de l'extériorité. Je me prépare à mourir et mon regard évolue sur ce qui est prioritaire maintenant pour la vie qui me reste. Je vis une étape intense de remise en ordre intérieure. Quand j'arriverai devant le Seigneur, il n me demandera pas quelle place j'ai occupée dans les sondages ! Avant j'envisageais l mort comme le point d'orgue d'une vie pleine et active , comme la fin d'une course où je basculerais d'un seul coup dans les bras de mon Seigneur, me laissant totalement envahir par sa vie, dans une intériorité d'amour réciproque. Depuis cet accident, je sais que je dois attendre. Il s'agit pour moi d'accepter les préliminaires de la mort, la faiblesse physique , mettre un pied devant l'autre devient un problème. Moi qui ai parcouru le monde, c'est un vrai renoncement. J'ai choisi de ne pas subir mais d'offrir toutes ces frustrations dans la prière. J'entre consciemment dans ce dépouillement de mes forces pour me centrer sur ce qui est au coeur de toute ma vie, cet élan profond pour le Christ, mon Seigneur et Sauveur. Comment vivez-vous ce dépouillement ? Dans ma chambre, je suis allongée avec mes pieds surélevés pour les soulager.Je ne vois donc pas qui entre et il m'est impossible de bouger pour accueillir mon visiteur. C'est désagréable pour moi qui aime tant aller à la rencontre de l'autre. C'est un signe parmi tant d 'autre, la grande vieillesse me met devant beaucoup, de frustrations. Ce qui m'aide pour les vivre, c'est de me remettre devant cette vérité de ma foi dans le Seigneur ; que je suis sa fille, c'est-à -dire que je suis née et que j'entrerai dans la mort par cette relation filiale qui traverse toute ma vie. Mon être ne tombe pas en morceaux sous les coups de boutoir de la grande vieillesse. Non, il se prépare pour vivre la rencontre filiale avec mon Seigneur. Ce déclin de mes forces est finalement un gain. Quel rôle jour la prière ? Par la prière, je suis proche de l'humanité comme une communion inexplicable mais réelle. Je prie souvent le bon larron, le voisin crucifié. A ce miraculé de la miséricorde, je confie tous les pauvres de la Terre. C'est extraordinaire ce moment ans les évangiles ! il a suffi que ce brigand dise au Christ : "Souviens-toi de moi", pour recevoir cette réponse inouïe, incompréhensible : " Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le Paradis. "Aucun mystique n'a jamais entendu pareille chose. Je prie avec lui, avec Marie aussi, car le drame de la Croix se poursuit. "Le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde", disait Pascal, ce philosophe dont je me sens si proche. Ma vraie préparation à lz mort passe aussi par les mains de Marie. Je vis avec elle dans la prière une véritable complicité. Elle es tau-devant de moi et m'ouvre ce chemin de l'ultime passage par des signes dans mes journées.Marie m'apprend ce chemin de l'abandon en toute confiance. Cet abandon qu'a si bien décrit le bienheureux Charles de Foucauld dans sa belle prière : "Père, je m'abandonne à toi ". Cette prière est sur ma table.Tous les jours, je la récite. Je suis sûre de l'amour de mon Seigneur qui accompagne chacun de mes renoncements pour me préparer à ce face-à -face avec lui. Ce sera le plus beau jour de ma vie. |
Note de contenu : | En 2006, Soeur Emmanuelle s'était confiée au magazine Pèlerin alors qu'à 97 ans, elle affrontait les difficultés de la grande vieillesse. Voici, pour Points de repère, l'intégralité de cet entretien exceptionnel. |