Titre : | Le pauvre de la rue se donne tout entier (2010) |
Auteurs : | Chantal Delarue, Personne interviewée ; Emmanuelle Rémond-Dalyac, Intervieweur |
Type de document : | Article : texte imprimé |
Dans : | Points de repère (N°238, Novembre-décembre 2010) |
Article en page(s) : | pp. 8-11 |
Note générale : | Professeur de français à la retraite, Chantal Delarue est engagée dans sa paroisse Saint-Jacques-Saint-Christophe de la Villette, à Paris. Elle y est responsable d'Hiver Solidaire, une mission au service des personnes qui vivent dans la rue. |
Langues: | Français |
Note de contenu : |
La naissance du Christ a lieu dans la pauvreté.
Qu'est-ce que cela signifie pour vous qui êtes engagée auprès des plus pauvres ? Chantal Delarue : Cette naissance dans une étable est pour moi fondamentale parce qu'elle nous bouscule. on ne s'attendait pas du tout à cette venue d'un Dieu démuni et pourtant, il se révèle de cette manière. Il me semble qu'en naissant dans la pauvreté, le Christ a comblé l'abîme qui sépare les riches des pauvres. Il s'identifie à eux par amour, comme une mère qui souffre lorsque son enfant souffre, et qui ressent en elle-même l'injustice qui lui est faite. L'identification de Jésus aux plus pauvres se fait par le mouvement-là . Il ne s'agit pas, selon moi, de voir dans chaque pauvre le Christ. Si j'étais pauvre, j'aimerais qu'on m'accueille pour ce que je suis et non pour ce que je représente ! Il s'agit plutôt d'imiter Jésus dans son attitude de pure compassion qui se manifeste à Noël. C'est ainsi qu'on se met à lui ressembler et qu'on le rejoint. Vous passez du temps avec des personnes qui vivent dans la rue. Qu'est-ce que vous apporte cette relation que vous établissez avec eux ? En côtoyant des personnes qui ont des vies très difficiles, on découvre qu'elles vont tout de suite à l'essentiel. Avec elles, j'ai des conversations passionnantes, bien plus qu'au cours des dîners plus conventionnels où je reste davantage à la surface des choses. avec des amis ou des connaissances, on s'engage mois parce qu'on a toujours peur de perde quelque chose : sa réputation, son argent, son temps...Mais les pauvres n'ont rien à perdre puisqu'ils n'ont rien ! L'une des personnes qui est venue dormir à la paroisse tout l'hiver nous a dit dès le premier dîner : "J'en ai marre, tout le monde m'a fait du mal dans la vie. "Après quatre mois de soirées communes, il a pris la parole au moment du bénédicité en disant :"Je voudrais demander pardon pour tous ceux que j'ai blessés." Il avait 55 ans ! Combien d'hommes de son âge m'on dit des paroles aussi fortes ? Quelle est, selon vous, la force de la pauvreté ? Dans sa pauvreté, Jésus n'a que son être à donner. Il nous révèle sa filiation au Père, qui est au coeur de lui-même, et qui constitue son être le plus intime. C'est cela qui fait sa force, si attirante. Un pauvre qui vite dans la rue, c'est la même chose. En se donnant tout entier, il livre le coeur de soi-même. Ce coeur est d'une énergie incroyable et contagieuse ! A la paroisse, de plus en plus de personnes participent à la mission Hiver Solidaire. Nous sommes à présent un réseau de trente bénévoles qui nous relayons tous les soirs de l'hiver pour accueillir les gens de la rue. Grâce à eux, nous vivons aussi une communion plus forte antre nous. Une bonne raison de s'engager, peut-être... J'ai toujours été sensible aux situations de pauvreté. Quand j'étais enfant, mon père a connu des gros problèmes financiers. Cela m'a certainement marquée. Jeune mariée, avec mon mari j'ai fait partie des Fraternités Charles-de-Foucauld. Nous avions à coeur d'avoir le souci des plus pauvres en allant là où l'Eglise n'est pas présente. Nous avons également décidé de vivre dans un quartier populaire, nous qui venons d'un milieu plus aisé. Nous voulions mettrenos compétences au service d'une plus grande justice sociale. Depuis que je suis en retraite, j'ai fait un pas de plus en m'engageant auprès des pauvres parmi les pauvres. Ce qui me plaît, c'est l'action commune au sein de la paroisse. Ce n'est pas une association spécialisée auprès des gens de la rue, ce sont des chrétiens qui s'engagent ensemble. Seule, je ne pourrais jamais m'occuper d'une personne qui dort en bas de chez moi dans la rue. Comment fêtez-vous Noël ? A la paroisse, avec Hiver Solitaire nous faisons une fête le 24 décembre au soir. Même si les personnes accueillies ne sont pas toutes chrétiennes, nous assumons pleinement notre identité de paroisse. Tous les soirs, au moment du dîner, nous prions ensemble. Ce soir-là , des couples qui sont disponibles se proposent pour être présents durant toute la veillée. Après la messe de minuit, le curé partage toujours le repas avec eux. C'est un repas festif, beaucoup de paroissiens nous livrent des plats délicieux ! Nous préparons aussi des petits cadeaux pour chacun. Chez moi la fête est somptueuse avec beaucoup de cadeaux pour nos enfants et petits-enfants que mon mari a préparés longtemps à l'avance. Il tient beaucoup à cette abondance, malgré mes réserves dont je lui fais part depuis des années. C'est sa manière à lui de montrer son amour, que je respecte aussi. |